La roue à admission intérieure.

Introduction

La roue à eau à admission intérieure appartient à la famille des roues à énergie potentielle. C’est à dire que c’est le poids de l’eau et non son énergie cinétique qui est principalement utilisé dans ce cas. Nous précisons « principalement », parce que dans presque toutes les roues, l’eau n’agit jamais que par son poids ou sa vitesse, c’est toujours une combinaison de ces deux phénomènes, puisqu’il ne peut y avoir de débit sans vitesse.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, nous tenons à préciser que nous n’avons rencontré la description d’une telle roue que dans un seul ouvrage ancien :

MANUEL DE L’OUVRIER MÉCANICIENHUITIÈME PARTIE HYDRAULIQUE- ROUES-TURBINES-POMPES N°101 BIBLIOTHÈQUE DES ACTUALITÉS INDUSTRIELLES

par Georges FRANCHE

Cet ouvrage a été ré-édité par des programmes de conservation, l’original date de janvier 1903. Il est donc à priori toujours possible de se le procurer. Si, cher lecteur, vous avez connaissance d’autres documents mentionnant ce type de moteur hydraulique, nous vous serions reconnaissants de nous en informer via le formulaire de contact.

Extraits

Décontextualisation nécessaire !

Bien sûr, avant de nous attaquer à un sujet nommé, tel que celui de la roue à admission intérieure, décrite dans un ouvrage plus que centenaire, une décontextualisation s’impose. C’est à dire que nous n’allons pas prendre pour argent comptant ce qui est écrit, mais nous allons le considérer en réfléchissant avec la plus grande attention au contexte dans lequel ces mots ont été écrits. Nous devons considérer les connaissances globales de l’époque, les techniques pratiquées à l’époque, les objectifs de l’auteur mais aussi des lecteurs de l’époque, etc.

Qui était Georges Franches ?

L’auteur de l’ouvrage ci-mentionné, Georges Franches, était ingénieur mécanicien, des Arts & Métiers et de l’école Centrale des Arts et Manufactures (École Centrale de Paris) et agent technique de l’Office National de la Propriété Industrielle. Nous avons affaire à un auteur d’un niveau théorique élevé en sciences, lequel est aussi en lien avec le domaine des idées de par sa fonction à l’O.N.P.I. Il est donc probable que quelque innovation subtile en mécanique n’aurait pu lui être suffisamment distante pour qu’il n’en n’eut pas écho.

Roues et turbines avant 1900

Ce n’est « qu’en » 1824 que Jean Victor Poncelet théorise pour la première fois une innovation majeure dans le domaine des moteurs hydrauliques en inventant la roue qui porte désormais son nom. La théorisation des machines hydrauliques prenant en compte les nouvelles connaissances en physique et mathématiques venait de commencer. Arthur Morin, lui, théorisait presque en parallèle de Poncelet, les traditionnelles roues à aubes planes. Tous ces travaux précèdent de près, ceux de Claude Burdin qui installe une turbine à axe vertical en 1825.

Il faut dire que le mécanicien Bernard Forest de Bélidor (né en 1698, 90 ans avant Poncelet), qui était contemporain de la machine de Marly, aurait évoqué dans certains de ses écrits d’éventuelles aubes courbes destinées aux roues dites « en dessous » mais en n’y accordant hélas pas plus d’intérêt.

Les théorisations des anciennes machines conventionnelles (les roues) avaient démarré tardivement, en ce qu’elles étaient déjà obsolètes par les travaux de Burdin et de son élève de l’école des mines de Saint-Etienne, Benoit Fourneyron. Ce dernier déposa un brevet en 1832 sur une turbine qui porte son nom. Cela rendit à priori Burdin Jaloux, lequel était le « véritable inventeur » de la théorie appliquée de la turbine. En effet, n’est-ce pas le mathématicien suisse Leonhard Euler le véritable inventeur de la théorie même des turbines ? L’élève ayant dépassé le maître, Burdin reçut néanmoins un lot de consolation lors d’un concours en guise de reconnaissance pour ses travaux.

À l’antiquité, et qui sait, peut être même avant, les moteurs hydrauliques étaient utilisés pour les moulins. Les turbines aussi, primitives, en bois, similaires aux moulins à rodets existaient déjà au moyen age. Il n’est donc pas évident de considérer, par exemple, que Lester Allan Pelton est le véritable inventeur de la turbine à action (à énergie cinétique), bien qu’il soit l’inventeur de la version poussée à son paroxysme.

Une roue méconnue et oubliée

Tout cela nous mènerait à penser que, un type de roue constituant une amélioration des versions habituelles, apparu tardivement, à une époque où la communication n’était pas aussi rapide qu’aujourd’hui, put effectivement passer presque inaperçu. Son obsolescence immédiate n’ayant pas permis sa diffusion. Il y a peut être une forme d’ironie dans le fait que Georges Franches nous présente la roue à admission intérieure d’une manière tout à fait naturelle. Cette ironie démontrerait en réalité la connaissance scientifique de l’auteur et son approche très neutre du procédé dont il n’y a raisonnablement pas de raison de douter. Cette forme d’ironie, si elle était intentionnelle, (rien n’est moins sûr : nous ne nous permettons pas de prétendre savoir mieux que l’auteur ce qu’il pensait lui même) ressemblerait un peu à ce qui se passerait si nous n’avions que la rubrique « applications » de ce site, sans aucune explication.

Nous ne savons pas non plus quand ni par qui cette théorie de la roue à admission intérieure est apparue, si vous avez des informations à ce sujet, contactez nous.

Anecdote du rédacteur

Bien avant d’avoir connaissance de l’existence d’une description d’un tel moteur hydraulique, je trouvais dommage que les augets de la roue en dessus se soient partiellement vidés avant d’avoir atteint leur position la plus basse. Cela constitue une perte d’énergie potentielle. Notez que je parle de « l’existence d’une description » et non pas de « l’existence » tout court, parce qu’une invention n’est jamais que la découverte d’une possibilité.

Ainsi, j’avais commencé à étudier quelques concepts d’augets, remplis par leur côté, inspiré par certaines roues d’irrigation. Mais j’ai finalement eu rapidement sous les yeux l’ouvrage de Georges Franche avant de finir mes tracés. Aurais-je fini par inverser totalement l’entrée de l’eau à l’intérieur de la roue ?… En tous cas, ce qui compte, c’est que je n’ai jamais pensé, à aucun moment « une meilleure roue à augets, ça n’existe pas, sinon les grands hommes d’avant moi l’auraient déjà dessinée ».

C’était pourtant le cas, pour cette fois, avec la roue à admission intérieure. Mais n’ayant pas évoqué, dans mon esprit, une sorte d’infériorité, et de manque de confiance m’interdisant de réfléchir à une amélioration, j’aurais sans doute fini par la réinventer (ou un équivalent). Car il faut bien dire, qu’on joue dans ce cas sur une problématique de mécanique spatiale et géométrique très rudimentaire. C’est en fait un sujet relativement accessible au plus grand nombre.

Nous n’avons pas idée, que très souvent, même sur de grands sujets connus, très peu de choses ont été pensées. C’est l’histoire et le hasard qui rendent certaines idées prédominantes. Nous sommes tous capable d’innover, avec un C.A.P. , comme nous sommes tous capable d’être des plus paresseux et vaniteux avec des agrégations prestigieuses ou des diplômes de grandes écoles d’ingénieurs (inspiré de faits réels !).

Références et confiance

Nous ne remettons absolument pas en cause les talents et connaissances incontestables de l’auteur. Mais nous avons tout de même trouvé à critiquer, en partie parce que, comme ce que nous écrivons, et ce qu’écrivait Georges Franche, ce ne sont en aucun cas des vérités absolues, des paroles divines qui émaneraient du fait que nous nous positionnons comme auteur.

Les auteurs sont des êtres humains comme nous tous et le fait de publier des écrits sur quelque sujet que ce soit n’en fait pas forcément des vérités universelles. Cessez donc sans arrêt de vouloir des « sources », des « citations » ou des « références » qui ne peuvent en aucun cas être considérées comme des critères de valorisation des arguments et ne font qu’encourager notre paresse intellectuelle. Le manque de confiance en soi est trop souvent une excuse permettant de justifier sa paresse. Pensons par nous même, acquérons au besoin le savoir nécessaire pour faire nos propres analyses.

Il n’est pas interdit cependant de citer des travaux comme nous le faisons d’ailleurs nous même, mais seulement pour considérer leur contenu comme étant des hypothèses que nous faisons, ainsi que des suggestions de lectures. Il n’est en effet pas possible, pour une seule personne, de recalculer toute une thèse ou de recommencer à recueillir des montagnes d’informations sur certains sujets. Nous pouvons donc reconnaitre la valeur de certains travaux, après avoir précisément réfléchi par nous même à leur valeur. N’en déplaise à certains, l’effort intellectuel est inévitable car nécessaire.

Critique et améliorations

Que pourrions nous reprocher aux écrits de Georges Franche ? Peut être ceci :

« […]elle convient, enfin, à toutes les chutes, mais en particulier aux petits cours d’eau, en raison du porte-à-faux des couronnes sur les bras« .

Il ne nous parait pas acceptable de présenter un système technique, qui n’est presque jamais rien d’autre qu’une variante d’un concept plus général, de manière affirmative sous une autre forme qu’une proposition. Écrire ou dire par un schéma « une roue à admission intérieure (ou autre système), c’est comme ça, et ça a tel ou tel défaut », c’est beaucoup trop affirmatif et très souvent inexact.

Nous serions tenté de dire, qu’avec les matériaux de l’époque, c’eût été difficile de réaliser de grands moteurs de ce type. Mais cela ne demeure pas du tout convaincant, bien que les méthodes et matériaux composites modernes (rouleuses à commande numérique pour les augets, mécanosoudures et découpes laser diverses, etc.) rendent, de nos jours, plus facile la réalisation d’une roue à admission intérieure.

Au lieu de se réduire à un fatalisme lié à la vision d’une unique variante d’un système, pensons plutôt « faisons le nécessaire pour éliminer ce (ou ces) défaut(s) ».

En plus de pouvoir supprimer le porte à faux évoqué par l’auteur, nous pouvons imaginer de nombreuses variantes ne changeant absolument rien au principe fondamental de la roue à admission intérieure et de ses avantages fort bien expliqués par Georges Franche. Ces variantes pourraient être utiles dans certaines configurations environnementales.

Propositions de variantes

Nous proposons quelques amélioration sous la forme de schémas synoptiques, en vue du dessus, contrairement au schéma de l’ouvrage, afin de faire apparaitre plus clairement les différentes configurations du coursier supérieur.

Proposition n°1 : arrivée d’eau sans demi-tour, avec ou sans porte à faux de la roue.

Nous précisons que George Franche évoquait le porte à faux de la couronne supportant les augets, mais sans avoir évoqué un éventuel porte à faux de la roue entière, effectivement non nécessaire, mais toujours possible si l’on souhaite abriter les paliers dans un unique bâtiment contenant le mécanisme de transmission tout en autorisant le coursier supérieur à prendre place à hauteur de l’axe. Le porte à faux de la couronne est clairement visible sur une vue du dessus, le porte à faux total de la roue peut se gérer par les paliers 1 et 2 et permet ainsi que le coursier supérieur ne soit pas gêné par l’axe de la roue. Pour autant, l’eau peut être admise en dessous ou au dessus de l’axe, moyennant un dimensionnement différent du diamètre de la roue. Ainsi, le coursier passerait en dessous ou au dessus de l’axe supporté par les paliers 2 et 3. Notez que ces dessins sont des schémas de principe et qu’il conviendrait d’apporter d’autres améliorations sur la forme du coursier, représenté trop anguleux, par exemple.

Proposition n°2 : arrivée d’eau sans demi-tour, sans porte à faux.

Dans cette configuration le porte à faux des couronnes est supprimé, du moins, il est symétrisé. L’admission sans demi tour permet, comme dans le cas précédent, de minimiser les pertes d’énergie cinétique. Dans ce cas sans porte à faux, l’axe traversant impose un dimensionnement en diamètre un peu différent afin de placer le coursier légèrement au dessus ou en dessous de l’axe. Si l’admission partielle liée à la division du coursier et du déversoir s’avère problématique (ce qui n’est pas certain dans le cas d’une roue à énergie potentielle, mais l’on cherchera tout de même à minimiser les chocs), alors les augets peuvent être cloisonnés en leur milieu ou distincts. Nous aurions ainsi deux roues en une, ce qui sous entend que nous pourrions choisir de gérer indépendamment l’alimentation des deux branches du coursier supérieur.

Proposition n°3 : arrivée d’eau avec demi-tour, sans porte à faux.

Nous pouvons dire qu’il s’agit de la version originale décrite par Georges Franche, améliorée par la suppression du porte à faux des augets.

Conclusion

Lors de la lecture d’un document, l’analyse contextuelle de celui-ci doit être systématique pour comprendre comment utiliser les informations qu’il est susceptible de fournir. Dans le cas de la roue à admission intérieure, cette analyse nous permet de comprendre globalement sa fréquente méconnaissance. De plus, nous ne devons jamais chercher à justifier notre paresse à l’analyse qui décourage la critique objective de nos lectures. Ici nous avons pu proposer des variantes éventuellement améliorées de la roue presque présentée comme « la meilleure » dans un ouvrage ancien. Nous vous serions reconnaissants de nous contacter dans le cas où vous auriez entendu parler de la roue à admission intérieure dans d’autres documents.