Les associations d’idées.

Introduction

Le phénomène d’association d’idée est très fortement lié à la notion de contextes. En effet, ce phénomène consiste à considérer, à tort, comme irrémédiablement liées, par la logique ou les lois physiques, des notions que nous avons l’habitude de voir apposées, et uniquement apposées, c’est à dire fréquemment rencontrées ensembles dans un même contexte.

1. Exemple de l’automatisation.

Une association d’idée très toxique pour la recontextualisation est celle qui consiste à lier irrémédiablement dans notre esprit les machines, la mécanisation et l’automatisation à l’industrie. Avec une telle association d’idée, on éliminerait les technologies au lieu de les adapter, de les recontextualiser. Même si c’est bien l’industrie l’utilisateur principal de l’automatisation, il  serait dommage de penser, que si l’on doit chercher d’autres contextes utiles à l’existence humaine, il faille alors se débarrasser de l’automatisation et des machines. En effet, nous serions tentés de penser que si l’industrie “est les hautes technologies et l’automatisation”, alors ce qui n’est pas l’industrie doit être démuni de machines.

Cette association d’idée récurrente est d’ailleurs responsable de l’adhésion à des “package” d’idées toutes faites dont les “hippies écolos” sont férus et dont la non utilisation des technologies fait partie. Cette expression “hippies écolos” renvoie à un stéréotype qui n’est pas uniquement la vision caricaturale que l’on a de ces personnes, mais aussi la doctrine qu’elles assument consciemment.

Ceux qui cherchent à fuir l’industrie entrent trop souvent dans la caricature de ces “hippies écolos” qui utilisent alors les “basses technologies” ou en anglais “Low tech”.

Heureusement, et l’on peut s’en réjouir, le concept de “low tech” a complètement changé de sens et est devenu quasiment antinomique et synonyme d’ingénierie « high tech » à petite échelle, qui est un excellent exemple de recontextualisation des technologies.

2. Exemple du courant continu.

Nous entendons fréquemment dire que, en électricité, en tension continue, il est nécessaire d’utiliser des câbles de forte section. Ce n’est pas plus nécessaire qu’en tension alternative, je vous propose de développer cet exemple.

« Courant continu = gros câbles électriques », voilà l’erreur la plus courante pour le commun des mortels (qui ne sont pas techniciens, s’ils font cette erreur tout en étant technicien, alors c’est « grave »). C’est l’origine de cette pensée erronée que je vais tenter d’expliquer ci-dessous.

Préambule

Le courant qui se stocke dans des batteries est dit continu, c’est-à-dire que la tension est constante au cours du temps (on néglige la chute de tension liée à la décharge pour simplifier les explications).

Le courant alternatif est celui que l’on trouve dans les prises électriques domestiques, il varie alternativement au cours du temps, étant tantôt positif tantôt négatif. Il est produit principalement par des alternateurs qui lui confèrent sa forme sinusoïdale (ce qui n’est pas obligatoire, il peut être aussi “carré” ou “triangulaire”, etc.)

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Explication

La question à se poser, clé du problème, est la suivante : dans quels contextes rencontrons nous le plus souvent la tension continue ?

La réponse est : à chaque fois que l’on a affaire à une batterie de stockage.

  • Dans les véhicules (voitures, motos, camions, bâteaux, etc.).
  • Dans les petits appareils (téléphones portables, rasoirs électriques, calculatrices, ordinateurs portables, etc.).
  • Outils électroportatifs (visseuses, perceuses, etc.).

Le problème survient à ce moment précis, le caractère continu du courant n’est en aucun cas sa seule particularité dans ces contextes récurrents. Il est surtout utilisé en très basse tension dans les cas cités ci-dessus. Or, c’est la valeur de l’intensité du courant électrique qui détermine la taille des câbles à utiliser pour transférer la puissance. Plus le courant est élevé, plus la section du câble doit être importante.

Considérons un besoin de 1 000 Watts, la puissance s’exprime comme suit :

Puissance = tension x courant

(On admettra que cela est vrai en courant continu et alternatif; en régime alternatif cette valeur est appelée puissance apparente).

Avec une tension de 12 Volts (batterie de voiture par exemple) on obtient :

Courant = puissance / tension = 1000/12 = 83.3 Ampères

Avec une tension de 230 Volts en régime alternatif (prise électrique domestique) on obtient :

Courant = puissance / tension = 1000/230 = 4.3 Ampères

On constate que le courant est beaucoup plus fort en raison de la basse tension, à puissance équivalente.

On précisera aussi qu’on rencontre le régime continu en plus hautes tensions dans l’industrie. Et si le courant est faible, à puissance équivalente, en haute tension, on comprend l’intérêt que l’on a à transporter la puissance sous forme de tension plutôt que de courant (d’où les lignes à haute tension). De ce fait, moins de matière est nécessaire pour réaliser les lignes.

Dans cet exemple le raccourci subjectif nuisible est que le courant continu nécessite de gros câbles parce que l’on a l’habitude de le rencontrer au quotidien, dans le contexte particulier de la très basse tension. On se focalise alors sur le caractère appelé « continu » de ce courant. On en oublie l’aspect basse tension qui est la véritable raison des courants forts impliquant des câbles fortement dimensionnés en section.

3. « On entend le 50 Hz ».

Ce paragraphe s’inspire de fait réels vécus par le rapporteur de cet exemple.

Nous entendons aussi régulièrement dire que, près d’une armoire électrique ou d’un transformateur qui bourdonne, « on entend le 50 Hz ». A l’université de Savoie, un grand spécialiste de l’électromagnétisme, enseignant chercheur de haut niveau, et également musicien, a affirmé lors de travaux pratiques, que le transformateur que nous utilisions générait un son proche de 50 Hz. Un seul étudiant contredit ce fait, l’enseignant persista, mais l’accordeur électronique d’un autre étudiant lui aussi musicien afficha finalement 98.8 Hz lorsqu’il fut approché du transformateur. L’enseignant n’admis son erreur qu’une semaine plus tard.

Que s’est-il passé ? Il y a eu une association d’idée inconsciente, qui a transité du domaine de l’électrotechnique au domaine de l’acoustique par l’intermédiaire de l’existence de la notion commune de fréquence dans ces deux contextes.

La définition électrotechnique de la fréquence d’un signal et sa définition acoustique sont différentes. Dans le cas de l’électrotechnique, la fréquence représente le nombre de fois que le signal complet et identique se répète dans une seconde. En d’autres termes, le nombre de périodes par seconde. La période de la tension alternative est constituée de l’alternance négative et de l’alternance positive. Or, chacune génère un choc acoustique lorsque le courant traverse une bobine par exemple.

Représentation d’une période de tension alternative sinusoïdale à 50 Hz.

La définition acoustique d’une fréquence n’est autre que le nombre de chocs transmis dans l’air par seconde, ce qui correspond au nombre de crêtes. En résumé nous avons 50 périodes de tension alternative par seconde, générant chacune deux chocs soit 50 x 2 = 100 ! Le son que vous entendez, en Europe, près d’un transformateur électrique est donc bien de 100 Hz. En Amérique du nord, la tension alternative du réseau a une fréquence 60 Hz, le son que vous y entendez près d’un transformateur est donc de … 120 Hz.

Pour vous en convaincre, voici les définitions acoustiques des différentes fréquences évoquées dans cet article :

Faites le test, lequel de ces sons entendez vous à côté de votre tableau électrique ?

4. L’opposition de phase.

Oui, nous n’en avons pas fini avec les associations d’idées erronées au sujet de la fréquence, elles sont si vicieuses qu’elles génèrent de la désinformation, provenant aussi du corps enseignant. Qu’ils se rassurent, nous n’en voulons pas du tout aux enseignants pour cette erreur récurrente. Mais nous ne pouvons pas éviter ce sujet en tant qu’exemple d’association d’idée. Ainsi nous allons en finir une bonne fois pour toute avec la légende des tubes fluorescents (appelés encore à tors « tubes à néon » ou simplement « néons ») qui seraient « montés en opposition de phase ».

Contrairement à une lampe à incandescence dont le filament possède une inertie thermique, les néons « flashent ». Le scintillement qu’ils génèrent provient du fait qu’il s’agit d’un gaz bi-température ionisé qui arrête d’émettre de la lumière lorsque la tension descend en dessous d’une certaine valeur. Ainsi, alimenté en tension alternative, le tube arrête d’émettre de la lumière autant de fois que la tension passe par 0. La persistance rétinienne ne nous permet pas d’être totalement conscient de ce fonctionnement intermittent. Nous percevons toutefois un léger effet stroboscopique avec l’éclairage par tubes fluorescents, communément qualifié de fatiguant pour les yeux. Par ailleurs, si vous avez lu la rubrique 3, vous comprendrez que comme le tube à néon n’est pas polarisé, il émet une lumière à 100 Hz, c’est à dire 100 flash lumineux par seconde. Si vous possédez un ancien écran cathodique d’ordinateur, vous pouvez faire le test : configurez le rafraichissement à 50 Hz (renouvellement de l’image 50 fois par seconde) et vous comprendrez qu’il serait totalement impossible de supporter un éclairage à 50 Hz.

Il est néanmoins fréquemment évoqué que les tubes fluorescents seraient alimentés en « opposition de phase » afin de réduire cet effet stroboscopique. Cela consisterait, sur une paire de tubes, à générer le moment d’éclairage de l’un au moment ou l’autre s’éteint. Seulement, il s’agit d’une légende, l’opposition de phase ne change strictement rien, comme le montre le tracé ci dessous, puisque sa définition est un décalage de 180° ou de π. Cela nous mène à ceci :

Deux sinusoïdes en opposition de phase.

Nous comprenons très rapidement que cela ne nous avance en rien car si chaque signal alimente un tube, la lumière est émise au même moment. La fréquence de l’éclairage est toujours de 100 Hz. Ce tracé reste approximatif car les tubes fluorescents sont alimentés par l’intermédiaire de bobines appelées ballast. Le principe du déphasage relatif de deux ensembles tube-ballast identiques reste néanmoins comparable.

L’opposition de phase pour lisser l’éclairage des tubes fluorescents est une légende, en revanche, si nous tenons à lisser l’éclairage, vous constaterez qu’il faut plutôt déphaser l’alimentation d’un des deux tubes de 90° ou π/2. Cela nous amène au tracé ci dessous :

Déphasage de 90° de deux tensions sinusoïdales alternatives.

Dans ce cas, pour une paire de tubes alimentés par ces tensions différentes, nous avons 200 flash lumineux par seconde, soit un éclairage à 200 Hz. Cela peut être effectivement réalisé avec un montage électronique redresseur/onduleur ou en jouant sur les caractéristiques des ballasts par exemple.

Conclusion

Les associations d’idées sont la manière que nous avons de ranger les notions dans notre cerveau, et qui échappe parfois à la raison. Il ne faut traquer et éliminer évidemment que celles dont les liens comportent des failles logiques susceptibles de nous faire commettre des erreurs. Car ce sont elles aussi, les associations d’idées cohérentes, qui nous permettent de créer. Parfois, comme dans l’exemple du 50 Hz, les liens sont relativement subtiles.