Le « déjà faisant » ou le propriétaire.

Introduction

Nous évoquons dans plusieurs de nos articles, les comportements qui émanent de vexations. Par exemple, dans l’article sur le conflit d’intérêt psychologique ou celui sur les personnes expérimentées. Le « déjà faisant » ou le propriétaire désigne une personne pratiquant une activité quelconque ou possédant une machine quelconque. Ces personnes ont tendance à défendre vigoureusement l’exclusivité de leur activité ou de leur machine, et, au pire (le plus courant) à dénigrer systématiquement toutes les autres machines, activités ou contextes relatifs à leur activité.

La contamination

Le principe de contamination contextuelle, nous l’avons également et surtout évoqué dans l’article sur les personnes expérimentées. Mais dans le cas des passionnés, cette contamination est aussi très présente. En effet, la personne passionnée qui s’intéresse à un sujet donné (machines à vapeur, turbines hydrauliques, etc.) va parcourir une quantité importante de documents et visiter de nombreuses machines en rapport avec sa passion. Souvenez vous aussi de notre article sur la documentation et le mimétisme technologique, dans lequel nous expliquions que la documentation a une fâcheuse tendance à figer l’histoire. Les lecteurs n’ont en effet pas souvent le réflexe de décontextualiser ce qu’ils lisent. C’est à dire que les systèmes présents dans la documentation doivent êtres impérativement remis en cause, surtout lorsqu’ils sont anciens. Il faut se poser la question de savoir si, de nos jours, ou dans le contexte qui vous importe, les idées présentées sont toujours pertinentes. L’aveuglement par la documentation est aussi appuyé par des considérations subjectives relatives à l’âge des documents. Combien de fois n’entendons nous pas « Ah ! les anciens, eux, ils savaient faire ! ». De plus, l’époque à laquelle la documentation a été rédigée n’est pas le seul élément à prendre en compte, il faut aussi considérer tout le reste : le contexte économique (industrie ? artisanat ? associatif ?), spatial, légal, etc.

Ainsi, les personnes passionnées risquent d’être contaminées par le capital des informations qu’elles ont pu engranger de toutes les façons possibles. Les remises en cause de « ce qui se fait normalement » semblent improbables aux yeux des passionnés. C’est dommage, car les passionnés acquièrent automatiquement des connaissances contextuellement invariantes, relatives aux lois de la physique par exemple, qui pourraient prendre place dans d’autres concepts et contextes. Hélas, très peu parviennent à les identifier consciemment et lient dans leur esprit, par des associations d’idées erronées, leurs connaissances aux systèmes et activités qu’ils ont déjà vus.

C’est ainsi que -ce qui est regrettable- de nombreux passionnés, de turbines hydrauliques, de machines à vapeur ou autre, contaminés par l’Histoire mais aussi par leur histoire personnelle, vous disent , fiers de leurs connaissances « Si tu savais ! Dans ce domaine, on a tout essayé ! », ce qui est, sans risque de se tromper, systématiquement faux. Nous vous invitons par exemple à lire notre article sur la roue à eau à admission intérieure pour illustrer ces propos.

Nous pouvons conclure cette partie sur la contamination en citant une des plus grandes femmes de l’histoire, Marie Curie, qui disait :

« On ne fait jamais attention à ce qui a été fait ; on ne voit que ce qui reste à faire »

La vexation

La vexation est un grand classique. Lorsque vous commencez, ne serait-ce qu’à suggérer qu’il existerait une variante d’une idée, d’un concept ou d’une machine déjà pratiquée/possédée par quelqu’un, ce dernier s’opposera, de façon plus ou moins subtile à vos propos, même s’il ne s’agit pas de critiques négatives ou offensantes, ou qui témoigneraient d’une forme de jalousie. Comme nous l’avons expliqué dans l’article sur l’expérimenté, il peut s’agir d’une volonté de ne pas considérer une variante d’une activité ou d’un système, pour lequel votre interlocuteur ne serait alors plus le « sachant de référence ». Ainsi, le froissement d’amour propre génère des oppositions systématiques, même si elles ne sont pas en réponse à d’autres oppositions, mais seulement à des remarques.

La justification à posteriori

Nous pouvons aussi mentionner la « justification à posteriori » qui est très courante pour ceux qui se trouvent dans une situation donnée. Les personnes pratiquant cette post-justification cherchent en réalité à ne pas considérer qu’il faudrait : soit avoir des regrets, soit dépenser de l’énergie (intellectuelle et/ou physique) pour changer les choses. Une fois propriétaire d’une machine ou une fois dans une situation donnée, il est en effet plus plaisant de se persuader que rien de mieux ne peut ou n’aurait pu être fait. Ainsi, à l’aide d’auto-sophistique, un post-justificateur peut satisfaire son égo et/ou sa paresse !

Découragement, manque de confiance ou de compétences

Parfois, certains passionnés vous disent « j’ai essayé de faire comme ça mais j’ai laissé tomber, je suis revenu en arrière et j’ai fait comme tout le monde ». Très souvent les tentatives d’innovation sont tuées dans l’œuf, par manque de persévérance, par des erreurs témoignant d’incompétence, laquelle peut être due à une mauvaise capitalisation de l’expérience ou un manque de connaissances théoriques. Très souvent, les idées des passionnés sont vraiment bonnes, car personne ne fait jamais rien au hasard, mais ils baissent systématiquement les bras dès la nécessité d’entrer dans une phase de mise au point, ce qui empêche l’exploitation du potentiel ressenti de l’idée novatrice.

Nous citerons pour la deuxième fois Marie Curie qui disait aussi :

Premier principe : ne jamais se laisser abattre par des personnes ou par des événements.” 

Le quasi-mépris de la théorie

Il est à noter que, les personnes « déjà faisantes » méprisent pratiquement la théorie. Fiers de faire quelque chose, ou de posséder quelque chose que l’on puisse palper, ces personnes ont effectivement tendance à dire aux inventeurs « Il faut leur montrer des choses (sous entendu, des choses palpables) aux gens ! ». C’est peut être factuel, mais ce n’est pas pour autant acceptable.

En effet, ce fait est consécutif à la paresse intellectuelle généralisée. Le désintérêt, ou le moindre intérêt de monsieur tout le monde pour les connaissances scientifiques par rapport aux expositions et démonstrations palpables est aussi un terrible fléau. Cela peut être problématique dans la mesure où toute démonstration physique n’est jamais qu’une application d’un principe plus vaste et implique systématiquement le risque de contamination par l’image, de confusion entre les principes invariants et les caractéristiques contextuelles. Par exemple, une turbine hydraulique connectée au réseau dans une optique de revente d’électricité contient des considérations de rendement à régime constant, liées à l’aspect économique du système. Ces considérations ne seraient pourtant pas forcément pertinentes dans des contextes où la possibilité d’exploiter une certaine chute d’eau aux variations de débit importantes prédominerait sur le rendement à régime constant, par exemple.

Conclusion

Si de nos jours (quelle que soit l’époque à laquelle vous lisez cet article !) nous décidons de refaire des machines à vapeur à moteurs volumétriques, les referions nous exactement comme les anciens ? Ce n’est pas sûr du tout et c’est totalement déraisonnable d’en être sûr. Même si un certain nombre de choses ont été essayées, il faut impérativement partir du principe que presque tout reste à faire ! Et quand bien même ce ne serait pas vrai, vous auriez au moins cherché, et peut être trouvé ce que vous ne cherchiez pas (principe de la sérendipité). Nous vous invitons à combattre la paresse intellectuelle, à vous poser toujours les questions de savoir comment il serait possible de faire quelque chose plutôt que d’énumérer des obstacles par vexation ou volonté de justifier votre paresse.