Chacun son point de vue, un fait, pas une philosophie.

Introduction

L’éthiquement, le moralement correct, et la bien-pensance ou bienveillance communs veulent que l’on attribue au domaine de la sagesse certaines phrases type, toutes faites, qui prônent le respect des opinions de chacun. Cependant, toutes les opinions respectent-elles forcément tous les individus, toutes les opinions sont-elles responsables ? Ces préceptes peuvent être paradoxaux au même titre que la tolérance : doit on tolérer l’intolérable ? Ces philosophies représentent peut être un danger. Dans cet article nous considérerons que les objectifs de la politique, de l’éthique, consistent à résoudre démocratiquement des problèmes par une procédure de raisonnements prédictifs.

Analyse étymologique

L’expression « Chacun son point de vue » désigne précisément le fait de se placer à un endroit particulier de la réalité, pour l’observer. Elle contient donc un aveu terrible de l’incomplétude observationnelle. En conséquence, si des conclusions de raisonnements sont tirées d’un « point de vue » et non d’une observation ou estimation la plus globale possible d’un sujet traité ou de la réalité au sens général, elles ne peuvent en aucun cas garantir que les raisonnements qui en découlent sont utilisables pour satisfaire un objectif global, général, satisfaisant démocratiquement le plus grand nombre d’individus. On comprend bien la problématique de politique que pose cette expression qui avoue finalement son manque de sérieux.

Chacun ses conclusions ?

Nous avons considéré l’expression « chacun son point de vue » au sens propre du terme : que se passerait-il si nous la reformulions dans un sens moins strict et peut être plus commun en « chacun ses conclusions » ou « chacun ses opinions » ?

Nous pourrions dire que les deux expressions ci-dessus deviennent plus raisonnables, mais à une seule condition : que pour un problème donné, au regard des objectifs de sa résolution, il existe une ou plusieurs solutions. En effet, si pour un problème à solution unique, nous avons plusieurs conclusions de raisonnement ou de méthode permettant à priori de le résoudre, c’est que certaines opinions sont de fausses solutions, contenant simplement ce que l ‘on appelle des erreurs ! Dans un tel cas, il n’est pas permis de faire des dénis de réalité pour le plaisir : le travail n’est donc pas terminé et il faut de nouveau analyser les solutions pour en exclure celles qui sont erronées.

Généralement, il existe aux problèmes sociétaux, politiques, plusieurs solutions, certaines plus optimales que d’autres, un tri pragmatique doit alors être fait. « La nature » n’a aucune raison d’avoir fait qu’il existerait des solutions naturelles plutôt « de gauche » ou « de droite », ça n’a pas de sens. L’existence de couleurs politiques est une stupidité historique tout-ou-rien qui est une notion incompatible avec le pragmatisme, c’est à dire l’efficacité objective. Suivre une idéologie « par principe » est totalement stupide et découle d’émotions collectives historiques, etc.

Permis d’opinion et paresse intellectuelle

Lorsque l’on aborde des sujets politiques, dont les décisions collectives ont logiquement des conséquences collectives, il est plus que jamais important de ne pas être paresseux intellectuellement. Quiconque n’a pas analysé en détail la réalité dans le plus grand nombre de directions possibles, analysé la thèse et l’antithèse, devrait s’interdire d’avoir une opinion politique. En effet, si une personne prend une décision politique fondée sur des émotions, des ressentis subjectifs, alors il y a un risque de nuire à la communauté sans s’en apercevoir et sans le souhaiter pour autant.

Si certains politiques et médias se comportent en manipulateurs nuisibles, alors le risque de nuire à la communauté est évidemment plus élevé. Une personne intellectuellement paresseuse en politique, qui, par exemple se demande la veille des élections quel bulletin elle va mettre dans l’urne est potentiellement irresponsable vis à vis de la communauté, c’est un fait. Le permis d’opinion ne peut, hélas, être contrôlé que par la personne elle même, qui doit trouver la force de vaincre sa paresse intellectuelle, laquelle est soutenue par son auto-persuasion. Nous savons pourtant tous identifier « l’auto-malhonnêteté », qui est la meilleure amie de la paresse.

Quelques mots sur l’indifférence

L’indifférence est un concept qui est souvent assumé consciemment par ses adeptes. Il est très fortement encouragé, encore une fois, par la paresse intellectuelle. « Tant que je n’ai pas de problèmes, pourquoi me poserais-je des questions ? ». La paresse intellectuelle est si bien ancrée dans la nature de l’homme qu’aujourd’hui il est de bon ton de s’exclamer : « moi, je ne me prend pas la tête ! » Ceci particulièrement chez les jeunes générations corrompues par la médiocrité post-soixantehuitarde.

Lorsqu’un domaine commence à porter atteinte aux intérêts des individus, ceux-ci se mettent alors subitement à se poser des questions et à quitter l’indifférence. Beaucoup regrettent de ne pas avoir anticipé la situation gênante alors vécue. En toute neutralité, nous pouvons citer Michel Rocard qui disait : « si vous ne vous occupez pas de la politique, elle s’occupera de vous ». Bien souvent l’intérêt pour la politique est rare chez les jeunes insouciants ou chez les cadres égoïstes n’ayant pas de problèmes particuliers. Nous pouvons donc conclure, comme Jean-Pierre Petit: « Pensez par vous même, sinon d’autres le feront pour vous ». L’indifférence est irresponsable et vicieuse et découle de la paresse intellectuelle.

Mépris de la rectitude, mépris du débat

Généralement, les personnes ayant plutôt des sensibilités dites « de gauche », méprisent le débat parce qu’elles refusent l’effort intellectuel. Les personnes persévérantes en argumentation sont alors diabolisées, considérées comme des personnes voulant imposer leur « point de vue ». Cette accusation survient d’ailleurs souvent lorsque le camp « politiquement correct » est en réalité à court d’arguments, de cohérence logique. Il existe une corrélation collective entre le politiquement correct et le mépris des intellectuels qui ne sont pas d’accord avec eux.

Il est dommage de constater que de nombreuses personnes préfèrent continuer de ne pas chercher à comprendre (paresse) le danger qu’elles représentent pour les générations futures -par leurs choix politiques aléatoires- pour défendre une forme de moralement correct subjectif, plutôt que de vaincre leur paresse. Ces personnes resteraient volontiers bloquées sur le sentiment d’accusation culpabilisante que cela représente, ayant pour conséquence l’évitement du sujet de fond. Une fois de plus, l’émotionnel peut malheureusement prendre le pas sur la raison.

Le véritable extrémisme dangereux est le politiquement, éthiquement ou moralement correct, associé à la paresse intellectuelle. En effet, on constate aisément que les personnes utilisant des adages subjectifs semblables à « chacun son point de vue » sont très persuadées d’être de « bonnes personnes », d’incarner le bien absolu et indiscutable, et ce à tel point que l’idée d’une remise en cause ou d’un changement possible d’opinions leur est totalement exclue. Cela devrait pourtant constituer un paradoxe car, si l’on énonce consciemment à un adepte du « moralement correct » la démarche d’auto questionnement et d’évolution des opinions, elle est majoritairement considérée comme vertueuse (comme on nous l’apprend au lycée en cours de philosophie). Mais, replacée dans un contexte politique, cette procédure dérange !

Conclusion

Chacun son point de vue ? C’est un fait, on ne peut contrôler directement le cerveau des gens (indirectement, c’est de la manipulation). Mais on ne peut en effet prôner cette interjection comme étant une philosophie applicable. Cela impliquerait que l’on accepte que des choix soient fait par des personnes ayant regardé dans des directions différentes. L’expression « chacun son point de vue » est en fin de compte plutôt un adage qui rend compte d’une réalité, ou plutôt d’une fatalité, mais qui ne peut pas être raisonnablement considéré comme un bon conseil de philosophie lorsque l’on souhaite démocratiquement résoudre des problèmes par une procédure de raisonnements prédictifs. De plus, ces pseudos proverbes sont utilisés en tant qu’interjections pour couper court à une discussion et éviter le débat lorsque l’on est : soit à court d’argument, soit à court d’envie (paresse intellectuelle), tout en permettant de culpabiliser l’autre interlocuteur en l’accusant, s’il persiste, d’être une sorte de « fasciste » voulant « imposer son point de vue ». En réalité, ces genres de phrasés typiques sont très éloignés de la notion de sagesse qu’ils nous évoquent généralement.